poèmes
    

Théophile Gautier
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Étude de mains
I- IMPERIA
Chez un sculpteur, moulée en plâtre,
J'ai vu l'autre jour une main
D'Aspasie ou de Cléopâtre,
Pur fragment d'un chef-d'oeuvre humain;

Sous le baiser neigeux saisie
Comme un lis par l'aube argenté,
Comme une blanche poésie
S'épanouissait sa beauté.

Dans l'éclat de sa pâleur mate
Elle étalait sur le velours
Son élégance délicate
Et ses doigts fins aux anneaux lourds.

Une cambrure florentine,
Avec un bel air de fierté,
Faisait, en ligne serpentine,
Onduler son pouce écarté.

A-t-elle joué dans les boucles
Des cheveux lustrés de don Juan,
Ou sur son caftan d'escarboucles
Peigné la barbe du sultan,

Et tenu, courtisane ou reine,
Entre ses doigts si bien sculptés,
Le sceptre de la souveraine
Ou le sceptre des voluptés?

Elle a dû, nerveuse et mignonne,
Souvent s'appuyer sur le col
Et sur la croupe de lionne
De sa chimère prise au vol.

Impériales fantaisies,
Amour des somptuosités;
Voluptueuses frénésies,
Rêves d'impossibilités,

Romans extravagants, poèmes
De haschisch et de vin du Rhin,
Courses folles dans les bohèmes
Sur le dos des coursiers sans frein;

On voit tout cela dans les lignes
De cette paume, livre blanc
Où Vénus a tracé des signes
Que l'amour ne lit qu'en tremblant.

II- LACENAIRE
Pour contraste, la main coupée
De Lacenaire l'assassin,
Dans des baumes puissants trempée,
Posait auprès, sur un coussin.

Curiosité dépravée!
J'ai touché, malgré mes dégoûts,
Du supplice encor mal lavée,
Cette chair froide au duvet roux.

Momifiée et toute jaune
Comme la main d'un pharaon,
Elle allonge ses doigts de faune
Crispés par la tentation.

Un prurit d'or et de chair vive
Semble titiller de ses doigts
L'immobilité convulsive,
Et les tordre comme autrefois.

Tous les vices avec leurs griffes
Ont, dans les plis de cette peau,
Tracé d'affreux hiéroglyphes,
Lus couramment par le bourreau.

On y voit les oeuvres mauvaises
Ecrites en fauves sillons,
Et les brûlures des fournaises
Où bouillent les corruptions;

Les débauches dans les Caprées
Des tripots et des lupanars,
De vin et de sang diaprées,
Comme l'ennui des vieux Césars!

En même temps molle et féroce,
Sa forme a pour l'observateur
Je ne sais quelle grâce atroce,
La grâce du gladiateur!

Criminelle aristocratie,
Par la varlope ou le marteau
Sa pulpe n'est pas endurcie,
Car son outil fut un couteau.

Saints calus du travail honnête,
On y cherche en vain votre sceau.
Vrai meurtrier et faux poète,
Il fut le Manfred du ruisseau !  

Émaux et camées
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