poèmes
    

José Maria de Heredia
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Les Conquérants de l'or - VI
Ainsi précipitant leur rapide descente

Par cette route étroite, encaissée et glissante,

Depuis longtemps, suivant leur chef, et, sans broncher,

Faisant rouler sous eux le sable et le rocher,

Les hardis cavaliers couraient dans les ténèbres

Des défilés en pente et des gorges funèbres

Qu'éclairait par en haut un jour terne et douteux

Lorsque, subitement, s'effondrant devant eux,

La montagne s'ouvrit sur le ciel comme une arche

Gigantesque, et, surpris au milieu de leur marche

Et comme s'ils sortaient d'une noire prison,

Dans leurs yeux aveuglés l'espace, l'horizon,

L'immensité du vide et la grandeur du gouffre

Se mêlèrent, abîme éblouissant. Le soufre,

L'eau bouillante, la lave et les feux souterrains,

Soulevant son échine et crevassant ses reins,

Avaient ouvert, après des siècles de bataille,

Au flanc du mont obscur cette splendide entaille.

Et, la terre manquant sous eux, les Conquérants

Sur la corniche étroite ayant serré leurs rangs,

Chevaux et cavaliers brusquement firent halte.

Les Andes étageaient leurs gradins de basalte,

De porphyre, de grès, d'ardoise et de granit,

Jusqu'à l'ultime assise où le roc qui finit

Sous le linceul neigeux n'apparaît que par place.

Plus haut, l'âpre forêt des aiguilles de glace

Fait vibrer le ciel bleu par son scintillement

On dirait d'un terrible et clair fourmillement

De guerriers cuirassés d'argent, vêtus d'hermine,

Qui campent aux confins du monde, et que domine

De loin en loin, colosse incandescent et noir,

Un volcan qui, dressé dans la splendeur du soir,

Hausse, porte-étendard de l'hivernal cortège,

Sa bannière de feu sur un peuple de neige.

Mais tous fixaient leurs yeux sur les premiers gradins

Où, près des cours d'eau chaude, au milieu des jardins,

Ils avaient vu, dans l'or du couchant éclatantes,

Blanchir. à l'infini, les innombrables tentes

De l'Inca, dont le vent enflait les pavillons

Et de la solfatare en de tels tourbillons

Montaient confusément d'épaisses fumerolles,

Que dans cette vapeur, couverts de banderoles,

La plaine, les coteaux et le premier versant

De la montagne avaient un aspect très puissant.

Et tous les Conquérants, dans un morne silence,

Sur le col des chevaux laissant pendre la lance,

Ayant considéré mélancoliquement

Et le peu qu'ils étaient et ce grand armement,

Pâlirent. Mais Pizarre, arrachant la bannière

Des mains de Gabriel Rojas, d'une voix fière :

Pour Don Carlos, mon maître, et dans son Nom Royal,

Moi, François Pizarro, son serviteur loyal,

En la forme requise et par-devant Notaire,

Je prends possession de toute cette terre ;

Et je prétends de plus que si quelque rival

Osait y contredire, à pied comme à cheval,

Je maintiendrai mon droit et laverai l'injure

Et par mon saint patron, Don François, je le jure

Et ce disant, d'un bras furieux, dans le sol

Qui frémit, il planta l'étendard espagnol

Dont le vent des hauteurs qui soufflait par rafales

Tordit superbement les franges triomphales.

Cependant les soldats restaient silencieux,

Éblouis par la pompe imposante des cieux.

Car derrière eux, vers l'ouest, où sans fin se déroule

Sur des sables lointains la Pacifique houle,

En une brume d'or et de pourpre, linceul

Rougi du sang d'un Dieu, sombrait l'antique Aïeul

De Celui qui régnait sur ces tentes sans nombre.

En face, la sierra se dressait haute et sombre.

Mais quand l'astre royal dans les flots se noya,

D'un seul coup, la montagne entière flamboya

De la base au sommet, et les ombres des Andes,

Gagnant Caxamarca, s'allongèrent plus grandes.

Et tandis que la nuit, rasant d'abord le sol,

De gradins en gradins haussait son large vol,

La mourante clarté, fuyant de cime en cime,

Fit resplendir enfin la crête plus sublime ;

Mais l'ombre couvrit tout de son aile. Et voilà

Que le dernier sommet des pics étincela,

Puis s'éteignit.



- Alors, formidable, enflammée

D'un haut pressentiment, tout entière, l'armée,

Brandissant ses drapeaux sur l'occident vermeil,

Salua d'un grand cri la chute du Soleil.

envoyez vos commentaires pas encore de commentaire
version à imprimer dans une nouvelle fenêtre





   ·   contact   ·  livre d'or · les arbres · European trees · voyages  · 1500chansons · Fables de Jean de La Fontaine · Les passions (récits)
Cette page a mis 0.06 s. à s'exécuter - Conception© 2006 - www.lespassions.fr