poèmes
    

Pierre Michault
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Je suis la Mort de Nature ennemie,
Je suis la Mort de Nature ennemie,
Qui tous vivants finalement consomme,
Annihilant en tous humains la vie.
Réduis en terre et en cendre tout homme.
Je suis la Mort qui dure me surnomme
Pour ce qu’il faut que mène tout à fin.
Je n’ai ami, parent, frère ou enfant
Que ne fasse tôt rédiger en poudre,
Et suis de Dieu à ce commise, afin
Que l’on me doute autant que tonnant foudre.

Ève et Adam, puis leur création,
En trépassant la divine ordonnance,
En commettant prévarication
Se soumirent à mon obéissance,
En me donnant plein pouvoir et puissance
Sur eux de fait et leur postérité
Pour les meurtrir de mon autorité.
Si entrai lors en paisible saisine
D’anéantir en toute humanité,
Bois, feuille, fleur, fruit, bouton et racine.

Caïn me fit la première ouverture
En répandant le sang d’Abel son frère,

Qui lors fut mis premier sous couverture
De la terre qui était sa grand mère,
Car il sentit lors mon angoisse amère
Et de mon dard la pointure subite
Qui est si grieve et mordante et dépite
Qu’elle abat jus tout fort bras sagittaire
Et donne à tous, sans qu’un elle en répite
Plus hideux coup que canon ou veuglaire.

Ainsi doncques en possession mise
Pour de mes droits paisiblement user
Ai pris depuis à ma seule devise
Ceux qu’il m’a plu sans feindre n’abuser,
Et n’ai voulu affranchir, n’excuser
Bonté, Beauté, Vertu, Sens ni Vaillance
Que n’aie fait venir à cette danse,
Général’ment toute chair naturelle
Qui fut jadis par désobéissance
Soumise à moi et à ma loi mortelle.

Sur ce bœuf-ci qui s’en va pas à pas
Assise suis et ne le hâte point,
Mais sans courir je mets à grief trépas
Les plus bruyants quand mon dur dard les point.
Je pique et poinds quand je connais mon point
Sans aviser qui a assez vécu,
Et si ne crains ni targe ni écu,
Car quand me plaît, je poinds et aiguillonne
Et ne sera jamais mon dard vaincu
Par royal sceptre ou florissant couronne.

J’ai mes outils et mortels instruments
Pour mes exploits à coup entériner,
Et sans viser à raisons n’arguments
Fais les vivants sans arrêt définer ;
Et n’est vivant qui sut adeviner
Comme je prends maintes fois les humains,
Car j’ai moyens trop divers en mes mains,
Desquels plusieurs différemment sont morts
Et ont souffert l’un plus et l’autre moins
Les blessures de mes très aigres mors.

Âge sonnant sa flûte et son tambour
Endort plusieurs entre temps que je viens,
Et an à an, mois à mois, jour à jour,
Les fait passer sans les avertir riens :
Ils s’endorment sur les temporels biens
Et n’ont de moi souvenance ou mémoire,
Ains estiment leur terrienne gloire
Toujours durable, au moins incorruptible,
Jusque je viens qui fiers de ma chassoire
Pour leur donner effroi grief et terrible.

Puis Accident à son cornet de vache
Qui à un cri trop hideux et soudain
Meurtrit plus gens qu’à épée n’à hache,
Qu’il soumet tous au danger de ma main.
On voit souvent du jour à l’endemain
Aucun vivant être sain, dru et gras,
Qui tôt est mort dormant entre deux draps,
Et ne sait-on les moyens conspirer,
Un autre aussi enhuy très fort de bras
Qui tôt sera sur le point d’expirer.

Dieu plusieurs fois en vengeance cruelle
Donne aux pécheurs vivants dessus la terre
Par leurs péchés dissension mortelle
Que l’on nomme plus expressément Guerre.
Et cette-ci tant de vivants atterre
Que mon dard est tout teint en rouge sang,
Et quand aucun en échappe tout franc,
Il a répit, mais il est court et bref,
Car puis après, quand je cherche le rang,
J’assieds sur lui mon dard par un coup grief.

Autre pays est puni par Famine
Pour les péchés ou du peuple ou du prince :
Par ce moyen je ronge, mords et mine
Plusieurs terres, régions ou province,
Et tant en prends, tant en romps, tant en pince
Qu’on ne le peut nombrer, dire ou écrire ;
J’en gâte à coup un royaume, un empire ;
Qui sont contraints à pauvrement mourir,
Et n’est qui puisse à mon dard contredire
Pour languissants en ce cas secourir.

Et plusieurs fois ma très bonne chambrière,
Mortalité, est en terre transmise,
Qui mains milliers en fait coucher en bière
Par les exploits qu’elle tient en franchise.
Humanité est à elle soumise
Et sous son joug a incliné le chef ;
Elle lui fait maintes fois grand méchef,
Diminuant rudement ses suppôts,
Et pour avoir de ses sujets le fief
Elle abat tout sans aviser propos...

Comment aussi ma loyale servante,
Maladie, rue jus plusieurs corps,
Mais de tuer toujours pas ne se vante,
Ains échappent aucuns d’elles pour lors,
Et nonobstant qu’ils ne sont par ce morts,
Si n’ont-ils pas souvent moult long répit,
Car tôt après, par un très grand dépit,
Soudainement je les frappe et renverse,
Et n’ont loisir de languir en leur lit,
Puisque je fiers d’estoc à la traverse.

Car Accident qui ne dort ni sommeille,
Ains est toujours en aguet, en embûche,
Plusieurs meurtrit, vainc, occit et travaille,
Et par moyens trop divers il les huche :
L’un chiet en l’eau, l’autre de haut trébuche,
L’un meurt de chaud, et l’autre meurt de froid,
L’autre a le cœur de douleur trop étroit
Et meurt de deuil, l’autre meurt par poison,
L’un meurt à tort et l’autre meurt à droit
Par Accident qui en donne achoison.

Puis ces brigands, meurtriers, larrons des bois,
Amis de mort et serfs diaboliques
Par Accident font mains cruels exploits,
Lesquels j’approuve et tiens pour authentiques :
Ils tuent gens par voies trop obliques
Et meurtrissent maintes fois innocents ;
J’en ai par eux tous les jours plusieurs cents
Qui sont à moi piteusement rendus,
Et tôt après par bon droit je consens
Que les larrons soient tous morts et pendus...

Puis Accident en ses bateaux marins
Fait trébucher plusieurs gens et périr,
En excitant hideux vents aériens,
Où un ne peut à l’autre secourir,
Et autrement il en fait tant mourir
Par mer, par terre, en villes et en champs
De nobles gens, gens d’église et marchands
Qu’il n’est vivant qui en pensât le nombre,
Et plusieurs fois meurent mats et méchants
Ceux qui ont eu par Accident encombre.

Et mes exploits ne restreins ou modère
Pour vaillance, noblesse ni hauteur.
J’éteins à coup, sans ce que riens diffère,
Beauté, Savoir, Force, Sens et haut Heur,
Prenant autant le Roi ou l’Empereur
Que le plus serf, point n’y fais différence,
Car je ne crains honneur, prééminence,
Lignage, sens, richesse ou hardiesse,
Ains fais souffrir à tous la pénitence
Du poignant dard que pour tuer je dresse.

Les fortunés et les mondains heureux
Sont maintes fois premiers en mes greniers,
Et meurent mats, dolents, craintifs, peureux,
Et déplaisants d’éloigner leurs deniers ;
Ces amoureux ne laisse pas derniers,
Car je les fais à ma danse venir,
Et à regrets mes durs coups soutenir,
Pour démontrer que mon pouvoir surmonte
Tous les déduits qu’autres peuvent tenir,
Et si ne tiens ni d’Amours ni d’Heur compte.

Je fais ternir à coup beauté mondaine
Et toute odeur tourner en puant fiens ;
Je fais tarir de force la fontaine,
Et fais pourrir tant les gens que les chiens ;
Fraîche couleur fais retourner en riens,
Le sang muet et les veines restreindre,
Rompre les nerfs et claire voix éteindre,
Les sens mourir, les yeux perdre lumière,
Et quand je veuill’ de mon dard fort atteindre,
Il n’est si fort que ne renverse en bière.

Ces corps bien faits, ces féminins visages,
Dorelotés partout mignonnement,
Peints et fardés, reluisants comme images,
Je fais flétrir et puir laidement ;
Et par mon dard en un tout seul moment
Fais rédiger une dame joyeuse
En grand laideur trop horrible et hideuse,
Donnant aux vers la chair tant bien nourrie
Qui est par moi mise à fin très piteuse
Pour retourner en matière pourrie...

Donnant ainsi mes douloureux assauts,
Fais oublier tous les états mondains,
Et par tels heurs à mes marris vassaux
Ôte l’espoir de Dieu et de ses saints,
Car quand il sont sevrés entre mes mains,
Le pas mortel par sa dure rigueur
Leur donne angoisse et extrême langueur,
Tant et si fort qu’ils perdent souvenance,
Par quoi mémoire est hors de sa vigueur
Et Dieu est mis souvent en oubliance.

Je fais aux bons le chemin et passage
Pour les guider jusques au lieu de joie ;
Les conduisant droit à leur héritage,
Ainsi que fait pèlerin la mont-joie,
Mais aux mauvais je dépêche la voie
Par où ils vont en éternel supplice ;
Faisant doncques l’exploit de mon office
Mène chacun au lieu de sa desserte ;
Soit de vertu ou soit de maléfice
Ils ont par moi ou la gagne ou la perte.

Tout homme est né pour mourir une fois
Voilà le met et la fin de ses jours ;
Mais plusieurs sont qui cuident toutefois
Fuir mes mains par variables tours,
Et font amas, pensant vivre toujours,
Acquièrent biens et font grands édifices,
Veulent régner et avoir grands offices ;
Mais quand je viens, à coup les déshérite,
Et n’ont enfin de tous leurs artifices
Rien pardurable, excepté le mérite.

Dansez doncques vivants à l’instrument,
Et avisez comme vous le ferez ;
Après danser viendrez au jugement ;
Auquel étroit examinez serez :
Et là tout prêt le juge trouverez
Que de vos faits vous rendra le salaire :
Qui bien aura dansé pour lui complaire
Aura un prix riche et inestimable ;
Le mal dansant aura pour satisfaire
Feu éternel, puant, abominable.


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