poèmes
    

Gaston Miron
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Monologue de l'aliénation délirante
Le plus souvent ne sachant où je suis ni pourquoi
je me parle à voix basse voyageuse
et d'autres fois en phrases détachées (ainsi
que se meut chacune de nos vies)
puis je déparle à voix haute dans les haut-parleurs
crevant les cauchemars, et d'autres fois encore
déambulant dans un orbe calfeutré, les larmes
poussent comme de l'herbe dans mes yeux
j'entends de loin : de l'enfance, ou du futur
les eaux vives de la peine lente dans les lilas
je suis ici à rétrécir dans mes épaules
je suis là immobile et ridé de vent

le plus souvent ne sachant où je suis ni comment
je voudrais m'étendre avec tous et comme eux
corps farouche abattu avec des centaines d'autres
me morfondre pour une sort meilleur en
marmonnant
en trompant l'attente héréditaire et misérable
je voudrais m'enfoncer dans la nord nuit de métal
enfin me perdre évanescent, me perdre
dans la fascination de l'hébétude multiple
pour oublier la lampe docile des insomnies
à l'horizon intermittent de l'existence d'ici

or je suis dans la ville, opulente
la grande St. Catherine Street galope et claque
dans les Mille et une nuits des néons
moi je gis, muré dans la boîte crânienne
dépoétisé dans ma langue et mon appartenance
déphasé et décentré dans ma coïncidence
ravageur je fouille ma mémoire et mes chairs
jusqu'en les maladies de la tourbe et de l'être
pour trouver la trace de mes signes arrachés emportés
pour reconnaître mon cri dans l'opacité du réel


or je descends vers les quartiers minables
bas et respirant dans leur remugle
je dérive dans des bouts de rues décousus
voici ma vraie vie --- dressée comme un hangar ---
débarras de l'Histoire --- je la revendique
je refuse un salut personnel et transfuge
je m'identifie depuis ma condition d'humilité
je le jure sur l'obscure respiration commune
je veux que les hommes sachent que nous savons

le délire grêle dans les espaces de ma tête
claytonies petites blanches claytonies de mai
pourquoi vous au fond de la folie mouvante
feux rouges les hagards tournesols de la nuit
je marche avec un cœur de patte saignante
c'est l'aube avec ses pétillements de branches
par-devers l'opaque et mes ignorances
je suis signalé d'aubépines et d'épiphanies
poésie mon bivouac
ma douce svelte et fraîche révélation de l'être
tu sonnes aussi sur les routes où je suis retrouvé
avançant mon corps avec des pans de courage
avançant mon cou au travers de ma soif
par l'haleine et le fer
et la vaillante volonté des larmes

salut de même humanité des hommes lointains
malgré vous malgré nous je m'entête à exister
salut à la saumure d'homme

à partir de la banche agonie de père en fils
à la consigne de la chair et des âmes
à tous je me lie
jusqu'à l'état de détritus s'il le faut
dans la résistance
à l'amère décomposition viscérale et ethnique
de la mort des peuples drainés
où la mort n'est même plus la mort de quelqu'un
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