poèmes
    

Edgar Poe
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Ô Tempora ! Ô Mores!

Ô Temps ! Ô Moeurs! selon mon opinion
Votre empire évolue de bien triste façon.
J'entends que le règne des bonnes manières est depuis longtemps achevé,
Mauvaises manières ou pas de manières du tout, voilà ce qui reste à l'homme.
Et, pour parler des temps, quoiqu'on dise souvent
Qu'il n'était rien de pire que le " bon vieux temps "
(Saine doctrine à laquelle je souscris dans les moindres détails),
Je juge cependant ce siècle pire encore.
J'ai réfléchi, est-ce là l'expression?
J'aime vos mots yankee et vos façons yankee.
J'ai réfléchi, pour savoir s'il vaut mieux
Prendre tout au sérieux ou tout à la légère.
Si, avec le sombre Héraclite de jadis,
Il faut pleurer à s'en meurtrir les yeux,
Ou bien rire avec Démocrite de Thrace.
Etrange philosophe, qui tournait prestement
Les pages de la vie, et riait de les voir cornées,
Comme pour dire  " Et après! Qui diable s'en soucie ? "
Voilà, Ô Cieux, une question propre à arracher
La malheureuse requête aux griffes du législateur !
Au lieu de deux visages, Job en a huit ou presque,
Chacun pouvant fournir quatre heures de débats.
Que faire alors? Je vais mettre le problème sur la table,
Quitte à l'examiner quand mon talent sera plus grand ;
Pour l'instant, évitant tout ennui, je refuse le choix,
Le rire de celui-ci, les pleurs de celui-là.
Je m'abstiens de flatter ou de calomnier
Et, donnant à chacun une main, je ne fais que grogner.
Ah ! grogner, dites-vous, mon ami ; et pourquoi, s'il vous plaît?
Eh bien ! pour tout dire, Monsieur, j'avais presque oublié.
Mais, pardieu, Monsieur, il me paraît honteux
De voir, chaque jour, nous toiser sans vergogne,
Parader dans la rue avec force courbettes,
Ceux qui, se voulant hommes, sont émules du singe.
Je te prierai, Lecteur, d'excuser le juron
Que ces singes m'arrachent à mon corps défendant;
J'ai quelque tendance à relâcher mon style,
Mais, je t'en prie, sois patient; dans le moment qui vient
Je serai différent ; en bon politicien,
Je décide d'amender mon rythme et mes manières.
De toutes les cités, combien n'en vis-je pas ?
Car je suis voyageur, ami, autant que toi, 
Je n'en pourrais trouver, sur mon âme, une seule,
Mais j'étends l'idée au groupe tout entier
(Logique électorale qui se donne comme un tout,
Craignant dans le détail de succomber aux failles),
Une seule qui convienne aussi bien que celle-ci et soit mieux adaptée
Aux allègres desseins d'un calicot propret ;
Ici, il peut, sans crainte aucune, s'en donner à coeur joie,
Heureux et frétillant comme un poisson dans l'eau,
Secouer ses jolies boucles qui cachent un front charmant ;
Tel Vestris s'élevant au-dessus d'un comptoir
Parachever le soir l'entreprise du matin
Et retrouver ses dupes pour les faire danser ;
Car, au bal, quelle belle saurait donc échapper
A la jolie menotte qui lui vendit sa dentelle ?
Quelle belle assez froide, insensible, pour refuser
Celui qui, d'un ruban, a paré son soulier ?
Dieu me garde ! mon sort fut de connaître,
De vue, du moins, car je suis de nature timide
Et m'efforce toujours de ne point rire quand je le puis,
Un garçon de cette eau, le beau par excellence.
Mais parlez-lui un peu, et ses grimaces seront telles
Que visage humain, Seigneur, peut-il rester sérieux ?
Le coeur de toutes ces dames ne bat que pour lui,
Leurs yeux brillants s'attachent à son Tom and Jerry
Et à sa queue-de-pie, oEtenus à grands frais ;
Leur regard, cependant, ne dévierait jamais
Vers l'homme véritable qui par là passerait.
Sa voix procure les délices de la musique,
Une fois vue, sa personne ne saurait s'estomper ;
Bref, son faux col, sa tournure, son style sont
Le " beau idéal " que l'on prête à Adonis.
Souvent les philosophes ont disputé
Du siège de la pensée chez l'homme et l'animal ;
Que la faculté de la pensée réside cher ce dernier,
Mon ami, le Beau est là pour l'attester.
En dépit de ces dogmes qui, de tous temps, abondent,
Un fait bien établi vaut mieux que douze sages.
Car, pour penser, il pense ! mais bien souvent j'hésite
Quant à l'objet précis de ladite pensée.
Mais oui ! son pied mignon et sa fine cheville
Sont, chez lui, le siège de la raison ;
Un docte philosophe remue toujours la tête,
Mais lui, bien entendu, c'est le pied qu'il remue.
Et de ce pied vengeur serai-je menacé
(Autre preuve qu'il pense ou je me trompe fort)
Parce qu'à son oeil de chat je présente un miroir
Qui renvoie son image, celle d'un âne bâté?
Je pense qu'il comprendra qu'il s'agit bien de lui.
Le sot refuserait-il qu'il serait détrompé
Car, pour lui éviter les convulsions du doute,
A la fin du portrait je lâche le nom de " Pitts ".
                        
envoyez vos commentaires pas encore de commentaire
version à imprimer dans une nouvelle fenêtre





   ·   contact   ·  livre d'or · les arbres · European trees · voyages  · 1500chansons · Fables de Jean de La Fontaine · Les passions (récits)
Cette page a mis 0.04 s. à s'exécuter - Conception© 2006 - www.lespassions.fr