Cette complexité du Bois de Boulogne qui en fait
un lieu factice et, dans le sens zoologique ou mythologique du mot, un jardin,
je l'ai retrouvée cette année comme je le traversais pour
aller à Trianon, un des premiers matins de ce mois de novembre où,
à Paris, dans les maisons, la proximité et la privation du
spectacle de l'automne qui s'achève si vite sans qu'on y assiste,
donnent une nostalgie, une véritable fièvre des feuilles mortes
qui peut aller jusqu'à empêcher de dormir. (…) C'était
l'heure et c'était la saison où le Bois semble peut-être
le plus multiple, non seulement parce qu'il est le plus subdivisé,
mais encore parce qu'il l'est autrement. Même dans les parties découvertes
où l'on embrasse un grand espace, ça et là, en face
des sombres masses lointaines des arbres qui n'avaient pas de feuilles ou
qui n'avaient pas encore leurs feuilles de l'été, un double
rang de marronniers orangés semblaient, comme dans un tableau à
peine commencé, avoir seul encore été peint par le
décorateur qui n'aurait pas mis de couleur sur le reste, et tendait
son allée en pleine lumière pour la promenade épisodique
de personnages qui ne seraient ajoutés que plus tard.
Plus loin, là où toutes leurs feuilles vertes couvraient les
arbres, un seul, petit trapu, étêté et têtu, secouait
au vent une vilaine chevelure rouge. Ailleurs encore c'était le premier
éveil de ce mois de mai des feuilles, et celles d'un ampelopsis,
merveilleux et souriant comme une épine rose de l'hiver, depuis le
matin même étaient tout en fleur. Et le Bois avait l'aspect
provisoire et factice d'une pépinière ou d'un parc où,
soit dans un intérêt botanique, soit pour la préparation
d'une fête, on vient d'installer, au milieu des arbres de sorte commune
qui n'ont pas encore été déplantés, deux ou
trois espèces précieuses, aux feuillages fantastiques et qui
semblent autour d'eux réserver du vide, donner de l'air, faire de
la clarté. Ainsi c'était la saison où le Bois de Boulogne
trahit le plus d'essences diverses et juxtapose le plus de parties distinctes
en un assemblage composite. Et c'était aussi l'heure.
À la recherche du temps perdu.