poèmes
    

Émile Verhaeren
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Les cathédrales
Au fond du coeur sacerdotal,
d’où leur splendeur s’érige
-or, argent, diamant, cristal-
lourds de siècles et de prestiges,
pendant les vêpres, quand les soirs
aux longues prières invitent,
ils s’imposent les ostensoirs
dont les fixes joyaux méditent.

Ils conservent, ornés de feu,
pour l’universelle amnistie,
le baiser blanc du dernier Dieu,
tombé sur terre en une hostie.

Et l’église, comme un palais de flambeaux noirs,
dont les châsses d’argent et d’ombre
taisent leurs cris de métaux sombres,
par l’élan clair de ses colonnes exulte
et dresse, en faisceaux d’arcs et en voussoirs,
jusqu’au faite, l’éternité du culte.

Dans un encadrement de grands cierges qui pleurent,
à travers temps et jours et heures
les ostensoirs
sont le seul coeur de la croyance
qui luise encor, cristal et or,
dans les villes de la démence.

Dehors, le bourdon sonne et sonne,
à grand battant tannant
les longs regrets, pareils aux râles
vers le passé, des cathédrales.
Et les foules qui tiennent droits,
pour refléter le ciel, les miroirs de leur foi,
réunissent, à ces appels, leurs âmes,
autour des ostensoirs en flammes.

-ô ces foules, ces foules,
et la misère et la détresse qui les foulent !

Voici les pauvres gens des blafardes ruelles,
barrant de croix, avec leurs bras tendus,
l’ombre noire qui dort dans les chapelles.
-ô ces foules, ces foules
et la misère et la détresse qui les foulent.

Voici les corps usés, voici les coeurs fendus,
voici les coeurs lamentables des veuves
en qui les larmes pleuvent,
continûment, depuis des ans.

-ô ces foules, ces foules
et la misère et la détresse qui les foulent !

Voici les mousses et les marins du port
dont les vagues monstrueuses brassent le sort.

-ô ces foules, ces foules
et la misère et la détresse qui les foulent !

Voici les travailleurs cassés de peine,
aux six coups de marteaux des jours de la semaine.

-ô ces foules, ces foules
et la misère et la détresse qui les foulent !

Voici les enfants las de leur sang morne
et qui mendient et qui s’offrent au coin des bornes.

-ô ces foules, ces foules
et la misère et la détresse qui les foulent !

Voici les boutiquiers des quartiers vieux
limant sur l’établi leur sort méticuleux.

-ô ces foules, ces foules
et la misère et la détresse qui les foulent !

Voici les marguilliers massifs et mous
qui font craquer leur stalle en pliant les genoux.

-ô ces foules, ces foules
et la misère et la détresse qui les foulent !

Voici les armateurs dont les bateaux de fer,
fortune au vent tanguent parmi la mer.

-ô ces foules, ces foules
et la misère et la détresse qui les foulent !

Voici les grands bourgeois de droit divin
qui bâtissent sur Dieu la maison de leur gain.

-ô ces foules, ces foules
et la misère et la détresse qui les foulent !

Les ostensoirs, ornés de soir,
vers les villes échafaudées,
en toits de verre et de cristal,
du haut du choeur sacerdotal,
tendent la croix des gothiques idées.

Ils s’imposent dans l’or des clairs dimanches
-toussaint, noël, pâques et pentecôtes blanches-
ils s’imposent dans l’or et dans l’encens et dans la
fête
du grand orgue battant du vol de ses tempêtes
les chapiteaux rouges et les voûtes vermeilles ;
ils sont une âme, en du soleil,
qui vit de vieux décor et d’antique mystère
autoritaire.

Pourtant, dès que s’éteignent le cantique,
et l’antienne naïve et prismatique,
un deuil d’encens évaporé s’empreint,
sur les trépieds d’argent et les autels d’airain ;
et les vitraux, grands de siècles agenouillés
devant le christ, avec leurs papes immobiles
et leurs martyrs et leurs héros, semblent trembler
au bruit d’un train lointain qui roule sur la ville.

(Recueil :  Les Villes tentaculaires - 1895)


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